Matteo Galizzi : la santé avant tout

Matteo Galizzi est Assistant Professor, London School of Economics. Cette interview a été réalisée dans le cadre de la Lettre PSE n°21.

Pourquoi vous rencontre-t-on à l’Hôtel-Dieu ?

Matteo Galizzi : Depuis février et jusqu’en juillet, je suis invité par la chaire hospinnomics et J-PAL Europe dont les bureaux sont ici. Je suis ravi de ce séjour, PSE-hospinnomics-J-PAL étant l’un des rares endroits en Europe où sont « rassemblées » mes thématiques de recherche : les expériences randomisées (ou contrôlées) et l’économie comportementale appliquées aux politiques sociales et de santé. L’idée est notamment d’initier une collaboration durable sur ces sujets entre Londres, Paris puis d’autres centres.

Comment avez-vous choisi cette spécialité ?

M. G. : Après ma thèse à York, j’ai rejoint la LSE où le Behavioural Research Lab était en cours de création. J’ai alors travaillé en étroite collaboration avec Paul Dolan afin de l’inaugurer, puis de l’intégrer à un ensemble plus grand (1) regroupant des économistes, des psychologues, des philosophes… Je réalisais cependant rapidement que les recherches, relativement étoffées sur le rôle des incitations financières, délaissaient leurs effets sur les comportements non directement liés au protocole mis en place. Une expérience menée alors illustre très bien cela : sans surprise, les individus payés pour fournir le meilleur effort physique possible durant 2 minutes s’investissaient davantage que ceux qui n’étaient pas payés. Mais ils « compensaient » fortement lors du buffet qui suivait – avec en moyenne près de 200 calories absorbées en plus, un vrai désastre au regard des objectifs initiaux !

La frontière semble floue entre le succès et l’échec : comment émettre des recommandations en termes de politiques publiques ?

M. G. : Mon intuition est que les chercheurs doivent proposer aux décideurs publics une « boîte à outils » flexible composée de politiques diverses et variées ; outils issus de recherches et d’expériences concrètes et rigoureuses. Les gouvernements et institutions publiques, en Europe notamment, s’intéressent de plus en plus à ce type d’interventions et leurs liens avec les sciences comportementales. Nous sommes vraisemblablement au début d’une mini-révolution dans la façon dont les chercheurs et les décideurs se parlent et travaillent ensemble afin de concevoir et évaluer des interventions publiques. A mon sens, le potentiel est extraordinaire : explorer les apports des nudges (2), combiner les approches traditionnelles (incitations, régulations…) et celles plus innovantes (notamment comportementales), ou encore assurer une continuité entre les recherches en laboratoire et celles sur le terrain sont autant de pistes à évoquer puis à mettre en œuvre. En ce moment, je m’intéresse particulièrement à cette question : comment s’assurer que nos connaissances sur les comportements, essentiellement issues de nos observations en laboratoires, peuvent être extrapolées au « monde réel » ? Je réalise des études spécifiquement sur ces possibles continuités, et je m’attache également à intégrer des données plus complètes. Mon projet ESRC, par exemple, me permet de mener une étude randomisée au sein d’un échantillon représentatif de la société anglaise, dont nous analysons un certain nombre de comportements, et pour lequel – c’est une première – nous croisons les résultats avec des dizaines de données individuelles : sondages, données administratives, bio-marqueurs… issues d’un large panel multidimensionnel intitulé Understanding Society.
Je cherche actuellement à établir le même type de croisement de données à partir d’autres panels en France et en Grande-Bretagne.

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(1) Centre for the Study of Incentives in Health – http://www.kcl.ac.uk/lsm/index.aspx
(2) “Nudges” ou “coup de pouce” visant à influencer subtilement les comportements des individus.

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Matteo M. Galizzi est Assistant Professor à la LSE, au Behavioural Research Lab et au Centre for the Study of Incentives in Health. Après des études à l’Université de Pavie, il a obtenu son doctorat en économie à l’Université de York. Il a travaillé dans de nombreuses universités, notamment européennes, et conseille régulièrement des entités publiques et privées.

Page personnelle : http://www.lse.ac.uk/researchAndExpertise/Experts/profile.aspx?KeyValue=m.m.galizzi%40lse.ac.uk

Publié le 27 avril 2015